« Le métier de Demand Planner a été pour moi une véritable révélation » Harry Heldmann, Integra LifeSciences
Harry Heldmann est Demand Planner (planificateur de la demande) chez Integra, un important groupe pharmaceutique nord-américain spécialisé dans la régénération des tissus humains affectés à la suite d’accidents ou de maladies. Il vient de suivre le parcours CPF – Certified Professional Forecaster – chez MGCM Academy, l’occasion de nous retracer son parcours et raconter un métier qui s’est imposé comme un maillon clé des supply chain industrielles.
9 octobre 2023
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– Comment êtes-vous arrivé au métier de Demand Planner chez Integra ?
Avant de rejoindre Integra il y a 15 ans j’ai travaillé aux achats dans le secteur de la grande distribution, chez Lidl en Angleterre. J’ai ensuite quitté le Royaume-Uni pour m’installer en France, où j’ai d’abord intégré l’entreprise Lise Charmel (marque de sous-vêtements féminins) à Lyon, au service clients. C’est en 2008 que j’ai rejoint le groupe Integra, en tant que responsable du service clients Europe puis au poste de Demand Planner (planificateur de la demande).
Ce qui a été déterminant pour évoluer vers ce type de fonction Supply Chain, c’était une forte appétence pour les chiffres – le cœur du métier de Demand Planner consistant à rassembler, analyser et restituer des données – mais plus globalement une bonne compréhension, acquise à travers mes précédentes expériences, des enjeux à la fois côté client et côté opérations. C’est important car le Demand Planner joue un rôle pivot, à la jonction entre plusieurs services – ventes, finance, marketing – on va y revenir.
Il fallait ensuite avoir une âme de communicant, puisque le succès du Demand Planner dépend beaucoup de sa capacité à nouer des relations de confiance pour recueillir les données auprès des différents services.
Enfin la capacité à évoluer dans un environnement multiculturel a certainement joué, particulièrement au sein d’une entreprise qui opère à l’international. Étant originaire d’Allemagne puis ayant grandi successivement en Afrique, en Suisse et en Angleterre – où j’ai suivi mes études et rencontré ma femme qui est française – je jongle facilement entre le français, l’anglais et l’allemand.
– Le poste de Demand Planner existait-il ou était-ce une création de poste ?
C’était une création de poste puisque le département Supply Chain lui-même n’existait pas en Europe, toutes ces fonctions étant centralisées au siège américain d’Integra. Lorsque le groupe a décidé d’implanter son siège Europe à Lyon pour se rapprocher de son marché, on m’a d’abord confié le service client Europe avant que j’évolue en 2016 vers le métier de Demand Planner, fonction rattachée à la Supply Chain. Ce service compte aujourd’hui 13 personnes.
– Comment êtes-vous passé du service clients à la supply chain ?
J’ai appris principalement sur le terrain, étant à l’aise avec les chiffres et les croisements de données. Mais il a quand même fallu que j’acquiers les bases du Supply Chain Management, ce que j’ai fait à travers le parcours CPIM part. 1 (remplacé depuis par Basics) chez MGCM Academy. Parcours que j’ai ensuite complété par le programme CPF – Certified Professional Forecaster – axé sur les prévisions.
– En quoi consiste concrètement le métier de Demand Planner au quotidien ?
Mon métier consiste à produire et à faire valider par les différentes parties prenantes des prévisions de demande sur la partie du catalogue produits dont j’ai la responsabilité. Soit environ 200 références de la gamme Tissu Technologies – essentiellement des produits consommables – sur un total de 4000 références (principalement des matériels de pointe utilisés dans la chirurgie réparatrice et des produits consommables) vendues en direct aux hôpitaux ou via des réseaux de distribution spécialisés.
Pour produire ces prévisions (« forecast » est le terme consacré) nous travaillons sur un logiciel dédié (Oracle) auquel nous fournissons régulièrement des données dont nous devons nous assurer de la qualité et de l’intégrité. Pour ce faire il est indispensable de bien connaître le marché, les tendances et bien sûr les produits.
Je ne parlerais toutefois pas du métier « au quotidien », tant notre mission s’articule autour des réunions mensuelles S&OP – Sales and Operations planning, que nous sommes chargés d’organiser et d’animer.
Ainsi, chaque mois, on part des chiffres des mois précédents. On analyse les tendances, les chiffres, on compare avec le passé. Sur cette base nous mettons en place les réunions S&OP réunissant les ventes, la finance et le marketing, pour aligner les projections de chacun et s’assurer qu’elles sont en phase avec les capacités opérationnelles de l’entreprise.
Pour prendre un exemple familier pour le public, c’est un peu l’histoire du vendeur de poissons panés qui souhaite doubler la production après avoir remporté un appel d’offre auprès d’un groupe de restauration. Excellente nouvelle pour le business. Mais si on est en rupture de stocks sur le colin, que la hausse du prix du blé fait exploser le prix de la chapelure, on a un problème. Les réunions S&OP servent précisément à anticiper ces situations, pour donner une vision claire et systémique à chacun.
Cette nécessité d’aligner tous les acteurs de l’entreprise sur la même trajectoire, dans la réalité c’est un gros challenge car il est fréquent que les objectifs des différents services ne soient pas alignés. Il arrive par exemple que ceux de la finance se révèlent décorrélés de la tendance réelle du marché, ou que les ventes affichent des prévisions qui se révèlent irréalistes eu égard aux capacités productives de l’entreprise. Il y a des infos clés que l’on doit ainsi faire remonter pour mettre en adéquation les plans avec les capacités de production. Inversement on doit être dans l’optimisation constante pour être en mesure de fournir les produits aux forces de vente tout en s’assurant que l’on n’en gardera pas sur les bras.
La communication doit jouer dans les deux sens, « top down » et « bottom up ».
Dans un contexte économique devenu pour le moins complexe et fluctuant, on mesure l’importance de ces processus, ils apparaissent même évidents… pourtant ils sont relativement récents et encore loin d’être généralisés !
D’abord beaucoup de connaissances nouvelles sur les prévisions. Ensuite plein de choses qui ne s’apprennent pas dans les livres mais via le partage d’expérience, entre les stagiaires et le formateur d’une part et entre les stagiaires eux-mêmes d’autre part. Cette mise en commun a permis de réaliser que bien qu’opérant sur des secteurs variés, nous étions tous confrontés aux mêmes challenges et aux mêmes difficultés. Cela nous a fait un bien fou, nous qui sommes souvent seuls face à nos tableaux d’analyses de données !
Olivier (Ardouin, le formateur), qui a une longue pratique du métier, nous a donné plein d’astuces pour savoir comment mettre les bonnes personnes autour de la table, structurer une réunion S&OP, réunir les conditions pour pouvoir prendre les bonnes décisions. Cet échange est fondamental car c’est un métier qui s’apprend beaucoup par le partage d’expérience.
Je me sens ainsi mieux armé pour aborder la suite et faire évoluer mon organisation, avec une meilleure vision systémique des deux côtés, ventes et manufacturing. C’est essentiel pour nous qui sommes dans une position délicate, entre les deux.
C’est d’ailleurs suite à la formation que nous est venue l’idée d’instaurer des réunions préliminaires en petit comité, pour se mettre d’accord sur les grands axes avant de valider les chiffres.
– Votre métier est assez peu connu, pourtant il est au cœur des transformations qui se jouent au sein des entreprises industrielles…
Et pour cause, puisque tout part des forecast ! D’ailleurs ce ne sont pas « mes » forecast mais celles de l’entreprise. C’est le fruit d’une collaboration étroite entre les équipes conduisant à bâtir les meilleures projections possibles, celles qui vont guider le développement de l’entreprise pour les 3 à 6 prochains mois – durée de vie moyenne des prévisions – mais également à plus long terme via des projections sur plusieurs années, afin que la production puisse vérifier et ajuster ses capacités.
Si l’on sait que les prévisions sont par essence toujours fausses, l’enjeu de compétitivité consiste pour les entreprises à faire en sorte qu’elles le soient le moins possible, particulièrement dans le contexte actuel où on a de moins en moins droit à l’erreur, dans un environnement de surcroît complexe et incertain. On est clairement sur un enjeu stratégique.
Pour moi qui viens du service client, ce métier a été une véritable révélation ! J’adore l’autonomie qu’il implique, la nécessité d’aller chercher par soi-même les informations, de tisser des liens privilégiés avec différents services pour recueillir des informations clés… contribuer à mieux coordonner les opérations. On est à la fois facilitateur et investigateur.
La position qu’offre le poste de Demand Planner permet aussi d’avoir une vision globale de l’entreprise. C’est absolument passionnant.
– Vers quel type de poste cela mène-t-il ?
Compte tenu de la vision globale et transversale qu’offre le poste de Demand Planner, on peut assez logiquement évoluer vers des fonctions d’encadrement, voire de direction supply chain. En attendant, en tant que Demand Planner, on ne s’ennuie pas !